On en est où?

QUATENNENS

L’interview d’Adrien Quatennens était gênante, ça s’est dit. Mais pour qui et pourquoi ?
Pour qui ? La réponse n’a pas traîné car on a vu se dresser aussitôt une série de boucliers féministes, à commencer par les plus ultras. En cherchant à faire entendre sa part de vérité, Adrien Quatennens aurait manqué de retenue. Les quatre mois de mise à l’écart de LFI devraient être rediscutés et élargis. Pour certain(e)s, au sein même du Mouvement, a fortiori de la Nupes, une exclusion s’imposerait.
Pourquoi cette gêne ? Elle tient à la discrépance , ou dissonance cognitive, entre des principes (il faut accueillir absolument la parole des femmes qui portent plainte parce qu’elles sont systémiquement dominées et réduites au silence) et l’énoncé concret d’un homme qui, tout en souscrivant à ces principes, tout en reconnaissant avoir exercé ce que le code judiciaire appelle une violence conjugale (en l’occurrence une gifle et une forme de harcèlement moral), se défend de passer pour un être intrinsèquement violent, et livre quelques éléments complémentaires pour qu’on le comprenne. Aux yeux de certain(e)s, c’en est trop. Qu’Adrien Quatennens, qui a accepté sa peine et ne remet en question aucun des motifs qui la justifient, mais qui reste par ailleurs empêtré dans une procédure de divorce très compliquée, puisse tenter de rééquilibrer un discours unidirectionnel depuis le début, cette latitude lui est refusée. Pour deux raisons qui s’emboitent trop facilement.
La première est ce que j’appelle la discrépance. Dans les réactions outrées qui ont suivi la prise de parole publique d’Adrien Quatennens, il n’y a pas que du dogmatisme collant sans discernement au schéma classique de la violence masculine à l’encontre des femmes (schéma selon lequel on observe très généralement, sinon toujours, dans la défense des agresseurs une tentative de retourner l’axe victimaire), il y a autre chose encore. Les compléments ou rectifications qu’Adrien Quatennens apporte au récit convenu de son affaire ne peuvent que provoquer chez l’auditeur ou l’auditrice une déstabilisation de son schéma cognitif, à moins de les classer immédiatement sans suite d’entendement ou de les considérer comme des mensonges. Sauf s’il renforce son propre système de pensée, le verrouille idéologiquement, et donc fait monter psychiquement les enchères, l’auditeur est forcément mal à l’aise d’avoir à examiner ce qu’il préférerait prendre pour une règle intangible. Cette observation de psychologie sociale conduit à la deuxième raison évoquée.
On touche là au profond malaise politique généré par cette affaire. La Gauche n’atteindra jamais le pouvoir sans se rassembler, c’est l’ambition de la Nupes. Elle s’est constituée sous la contrainte de la percée de Mélenchon aux élections présidentielles et de LFI au premier tour des législatives. Mais le Chef charismatique s’étant mis en retrait, les têtes plus ou moins courbées se redressent, à commencer par celles des partis associés, mais même au sein du Mouvement. Par là-dessus un clivage grosso modo générationnel est apparu au grand jour avec l’affaire Quatennens, car elle interroge un certain impensé, à tout le moins un informulé, de la référence aux luttes féministes qu’entend porter LFI. La droite et l’extrême-droite ont beau jeu de pointer les soi-disant contradictions des discours et des actes, en entretenant à cet effet un maximum d’ambiguïtés (par exemple en confondant sciemment violences conjugales avec violences sexuelles et sexistes). La pression est désormais maximale pour faire d’Adrien Quatennens un bouc émissaire qu’il faudrait chasser non seulement de l’hémicycle mais encore de la Nupes et de LFI. Ce n’est pas acceptable. Rien légalement n’autorise cette exclusion, rien judiciairement, rien moralement non plus. La question est entièrement politique au sens étroit du terme : est-il encore audible au service d’une cause ?
Son éventuelle exclusion serait un leurre. Outre une soumission aux oukases de la droite et l’extrême-droite (et l’on ferait bien de s’inquiéter de la bienveillante oreille que la presse de droite offre aux frondeurs et frondeuses), elle ne mettrait pas fin aux luttes intestines pour succéder au Chef, qui reprendraient de plus belle. C’est ce qu’a cherché à désamorcer la reprise en mains un peu musclée du Mouvement mais, pour le moment en tout cas, l’effet n’est pas au rendez-vous. Politiquement il y aura du dégât. Le Mouvement risque de se briser. Sur l’affaire Quatennens des positions très divergentes se sont exprimées. Il n’est pas sûr qu’elles puissent cohabiter en l’état. Mais il n’est pas sûr non plus que, si quelqu’un(e) devait partir (et un départ volontaire vaut toujours mieux qu’une exclusion), ce devrait être Adrien Quatennens, tant pour des raisons éthiques que pour des considérations cyniquement politiciennes. Il faudrait mesurer les poids atomiques, c’est-à-dire électoraux, des uns et des autres. Ce serait là, toutefois, une issue extrême. Il faut faire tout le possible pour rester unis, non pas au nom de je ne sais quelle affection, mais de la défense d’intérêts fondamentaux plus forts que nos divisions. Si Paris vaut bien une messe, la cause ne vaudrait-elle pas une gifle ? La condamnation morale et politique d’Adrien Quatennens, qui pourrait peut-être à court terme apporter un hypothétique soulagement, risquerait de se payer très cher à moyen et long terme. Non seulement par la disparition d’une pièce maîtresse du dispositif politique de la Gauche, mais encore en laissant insuffisamment pensé un certain discours sur la domination des femmes et des minorités d’une manière plus générale. L’enterrement politique d’Adrien Quatennens serait aussi l’avortement d’un débat inachevé, qu’il faut poursuivre sans esquive ni pétrolage, quoi qu’il en coûte dans l’immédiat.

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